Hybridité des espaces de création et pluralité des formes scéniques (1760-1860)
Journée d'étude du 17 octobre 2017 à Clermont-Ferrand
La journée d'étude Hybridité des espaces de création et pluralité des formes scéniques (1760-1860) a été co-organisée par le Centre d'Histoire "Espaces et Cultures" (CHEC) et la Maison des Sciences de l'Homme (MSH) de l'Université Clermont Auvergne ainsi que par l'Atelier de Recherches Transdisciplinaires Esthétique et Sociétés (ARTES) du laboratoire Culture, Littératures, Arts, Représentations, Esthétiques (CLARE) de l'Université Bordeaux Montaigne, en partenariat avec l'ANR CIRESFI et Boom'Structur.
Comité d’organisation : Pauline Beaucé (Mcf études théâtrales, Université Bordeaux Montaigne), Sandrine Dubouilh (Pr études théâtrales, Université Bordeaux Montaigne), Cyril Triolaire (Mcf études théâtrales, Université Blaise Pascal).
Introduction de la journée d'étude
par Pauline Beaucé et Cyril Triolaire
Cette journée se propose d’étudier les nouveaux espaces hybrides de production et de diffusion de spectacles, à Paris et en province, qui se développent à mesure que les entrepreneurs forains migrent vers le boulevard du Temple à Paris (1759) ou se réinventent ailleurs dans la capitale (Galeries du Palais royal, Champs-Élysées, La Muette…). Ces espaces émergent aussi en province dès le mitan des Lumières à la faveur de nouveaux projets urbanistiques (en centre-ville comme en périphérie) et de lieux originaux dévolus aux curiosités (les quais et la rue du Moulin à Nantes, la colline de Fourvière à Lyon, la Belle de Mai à Marseille, la Chartreuse à Bordeaux…). Une attention particulière sera notamment portée aux wauxhalls, aux colisées, aux cirques, aux panoramas, aux théâtres d’acrobates, de marionnettes et d’ombres chinoises... Leurs évolutions seront également à appréhender par-delà les épisodes révolutionnaires et impériaux, et particulièrement dès lors que les « nouveaux boulevards » parisiens (dès 1813-1818) et provinciaux (selon des temporalités plurielles) s’imposent comme les espaces incontournables de spectacles aux formes renouvelées.
Il s’agira aussi de s’intéresser aux spectacles hybrides qui sont abrités dans ces lieux et nécessitent parfois le réaménagement d’espaces existants (théâtres, enclos, esplanades, cimetières, églises, etc.) pour les envols d’aérostats (ex. le colisée de Bordeaux en 1783), les expériences de physique et de chimie amusantes, les fantasmagories, les acrobaties, les pantomimes avec feux d’artifices, les exhibitions d’animaux ou même certains types de ballets. Certains nouveaux dispositifs scéniques créés in situ ou à l’intérieur d’espaces clos habituellement dévolus aux formes plus exclusivement théâtrales interrogent par leur modularité, leur éclairage et leurs systèmes visuels (lanternes magiques et nébuleuses, mégascopes) et acoustiques.
L’hybridité tend également à caractériser les mises en scène des lieux de représentation (reconstitutions vues dans les cabinets de Curtius ou de Mme Tussaud), opérant à la frontière du sensible parfois pour mieux conditionner les amateurs au spectacle (parcours imposé aux spectateurs par Robertson au Couvent des Capucines en Révolution) et repousser l’expérience à la fois individuelle et collective. Chacune de ces formes spectaculaires se donne à voir au-delà du seul temps ordinaire du spectacle à la faveur de nouveaux lieux aux esthétiques singulières (Caverne des Grands Voleurs du boulevard du Temple, Phantomagie du Palais royal, Théâtre du Panorama Dramatique par exemple) et propices aux nouvelles expériences sensorielles.
Le qualificatif d’hybride est avant tout un terme opérationnel pour décrire des espaces de spectacles non réservés à une forme théâtrale en particulier (ce sont des lieux pensés pour accueillir une variété de spectacles et de loisirs) et des spectacles qui sortent d’un cadre dramatique strict. Cette journée s’inscrit notamment dans la lignée des travaux sur l’histoire des loisirs urbains et des divertissements mais espère contribuer plus largement à l’histoire des pratiques spectaculaires des XVIIIeet XIXe siècles. L’objectif est d’éclairer d’un nouveau jour les espaces de création scéniques qui émergent et d’interroger leur place dans l’espace urbain, de mieux cerner leur public mais aussi les raisons de leur développement (politique culturelle locale, caractère inadapté de salles préexistantes…). À cela s’ajoute un intérêt particulier pour ce qui se passe dans ces lieux et l’organisation concrète des journées, des soirées de spectacles ou des événements et bien entendu des spectacles eux-mêmes qui, échappant parfois à l’analyse, ont été mis de côté par l’histoire du théâtre. Cette journée d’études s’achèvera par une table ronde mettant en perspective les présentations au regard des enjeux d’implantation des espaces hybrides actuels de la création.
Pauline Beaucé est maître de conférences en études théâtrales à l’université Bordeaux Montaigne. Ses travaux portent sur l’histoire des spectacles au XVIIIe siècle notamment sur le théâtre en musique, les formes dites mineures, les espaces de divertissement et la pastorale. Elle a publié Parodie d’opéra au siècle des Lumières, évolution d’un genre comique (PUR 2013), co-dirigé avec Françoise Rubellin Parodier l’opéra : pratiques, formes et enjeux(éditions Espaces 34, 2015) et édité une dizaine de pièces dont le Pygmalionde Rousseau suivi de Arlequin marchand de poupéesde Guillemain (2012, Espaces 34). Ses récents articles écrits en collaboration traitent des wauxhall de province (C. Triolaire, DHS, 2018) et de l’histoire des quartiers de spectacle à Bordeaux au XIXe s (S. Dubouilh, 2018).
Maître de conférences en études théâtrales à l’Université Clermont Auvergne rattaché au CHEC, Cyril Triolaire s’intéresse aux pratiques culturelles et artistiques entre Lumières et Romantisme, et particulièrement au cours des années révolutionnaires et impériales. Il privilégie une histoire tout à la fois culturelle, politique, économique et sociale de la vie théâtrale en province en étudiant tant les structures que les parcours des artistes ou bien les répertoires. Il montre un intérêt renouvelé à l’égard des formes théâtrales mineures et spectaculaires héritières des spectacles vivants et mécaniques de la foire. Il a publié un ouvrage consacré au Théâtre en province pendant le Consulat et l’Empire (PUBP, 2012, 565 p.) et a dirigé le colloque « La Révolution française au miroir des recherches actuelles » (SER, 2011, 279 p.). Avec Philippe Bourdin, il codirige Comprendre et enseigner la Révolution française. Actualité et héritages (Belin, 2015, 402 p.) et gère le portail numérique ">Therepsicore (ANR) sur la vie théâtrale provinciale entre 1791 et 1813. Il est coresponsable de deux journées d’études sur « l’hybridité des espaces de création et la pluralité des formes scéniques en France de 1760 à 1860 » avec Pauline Beaucé et Sandrine Dubouilh (Clermont-Ferrand 2017, Bordeaux 2018).
« De la ruelle aux vauxhalls : hybridité spatiale et pluralité des spectacles de la joie publique à Paris au XVIIIe siècle »
par Pauline Valade
Au cours du XVIIIe siècle, du centre vers les périphéries de la capitale, l’urbanité parisienne se vivait au rythme de réaménagements incessants qu’imposaient les nombreuses occasions de se réjouir pour la Couronne, qu’il s’agisse d’une naissance ou d’une victoire militaire. L’organisation des réjouissances monarchiques dans la capitale exigea de penser l’espace urbain comme profondément hybride, dans la mesure où le spectacle de la joie publique avait lieu dans des endroits plus ou moins attribués, et toujours aménagés pour l’occasion. Au-delà de la place de Grève, le spectacle très particulier de la joie publique se déroulait dans des ruelles, des carrefours encombrés, à l’ombre d’églises ou de piloris bien en vue. Pensés temporairement pour accueillir la variété des manifestations de joie, ces espaces étaient par définition hybrides, dès lors qu’ils n’étaient plus envisagés par les autorités urbaines comme strictement réservés aux activités artisanales et marchandes. Certains spectacles inédits, à l’instar des salles de bal éphémères pour le mariage du Dauphin en février 1745 ou des chars ambulants pour son second mariage en 1747, permettent d’envisager l’existence d’autres formes scéniques des manifestations de joie officielles – en-dehors des feux d’artifice et des distributions de vivres – , au public rigoureusement sélectionné, ainsi que leur inscription dans le cœur de la capitale.
Mais dès les années 1760, les périphéries de la capitale sont de plus en plus investies pour accueillir les démonstrations officielles de la joie publique. Pensons à la place Louis XV, réaménagée pour les réjouissances de la paix en 1763 puis pour celles du mariage de Louis XVI et de Marie-Antoinette en 1770. Par ailleurs, les nouveaux boulevards au Nord de la capitale furent parallèlement investis pour les réjouissances, mettant ainsi en exergue le déplacement progressif d’espaces hybrides, temporairement dévolus aux spectacles de la joie publique. Ainsi, au printemps 1770, la Ville fut tentée d’organiser les réjouissances pour le mariage princier dans le vauxhall du Colisée, argument que ne manquèrent pas de faire valoir promoteurs et entrepreneurs de ces nouveaux espaces de loisirs. Ce furent pourtant les ambassadeurs, en juin 1770 puis en août 1775, qui utilisèrent les vauxhalls pour signifier publiquement leur joie des alliances diplomatiques. Ils confondaient ainsi l’espace d’une joie officielle et strictement politique avec un espace de loisirs, brouillant de fait les frontières entre politique et divertissement. Cependant, l’hybridité des espaces de la joie ne se limitait pas aux espaces de loisirs puisqu’en 1783, à l’occasion des réjouissances pour la paix, la Ville transforma la Halle aux blés, nouveau symbole d’un aménagement moderne, en halle aux réjouissances populaires. En rappelant, par son architecture, la mode des vauxhalls, l’utilisation de cette halle sanctionnait à la fois l’hybridité des espaces de la joie comme un moyen de faire valoir l’autorité du Bureau sur les spectacles de la joie publique, tout en réactivant les codes sociaux d’un public soigneusement cloisonné.
Au travers de cette communication, nous chercherons donc à comprendre comment le spectacle de la joie publique utilisa des espaces qui ne lui étaient a priori pas destinés. Une attention particulière sera portée aux stratégies de la Maison du Roi, de la Ville et des entrepreneurs concernés, aux aménagements effectués, aux spectacles effectifs, ainsi qu’aux publics visés.
Pauline Valade est agrégée d’histoire et docteur en histoire moderne de l’Université Bordeaux Montaigne. Sa thèse, « Réjouissances monarchiques et joie publique dans l’espace public parisien : assentiment et interrogation du pouvoir politique par l’émotion (1715-1789) », a été soutenue en décembre 2016. Elle a notamment publié l’article « Public celebrations and public joy at the beginning of the French Revolution (1788-1791) », French History, vol. 29-2, juin 2015, p. 182-203 et participé à plusieurs colloques qui donneront lieu à une publication, dont par exemple « Jeux de joie et Joie du jeu. Rites et pratiques ludiques au cours des réjouissances monarchiques au XVIIIe siècle », dans Élisabeth Belmas et Laurent Turcot (dir.), Jeux, sports et loisirs à l’époque moderne (XVIe-XIXe siècle), Paris XIII, 20-21 mai 2015. Au printemps 2017, un autre article paraîtra dans le numéro spécial de la revue Dix-Huitième siècle consacré aux sociétés de spectacle : « La société parisienne au miroir des réjouissances monarchiques. Théâtralité, performances et réception du spectacle de la joie publique ».
« Les curiosités à la Criée, ou les petits spectacles marseillais sous l'Empire »
par Philippe Bourdin
A partir de plus de 200 cas de spectacles de curiosités à Marseille sous l'Empire, cette contribution essaie de retracer les origines des artistes, leur emplacement dans la ville, la nature des divertissements qu'ils proposent, leur image sociale. Elle montre combien derrière les marionnettes, les statues de cire, les crèches, les ménageries, se jouent la propagande impériale, la reconquête catholique, les interrogations d'une humanité inquiète de son statut, des limites de l'animalité, de l'univers et des nations - jusqu'à la xénophobie et aux a priori raciaux.
Professeur d'histoire moderne à l'Université Clermont-Auvergne, Philippe Bourdin y est directeur du Centre d'Histoire « Espaces et Cultures ». Il préside la section d'histoire des mondes modernes, de la Révolution française et des révolutions au sein du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (CTHS). Il a conduit le projet ANR THEREPSICORE sur le théâtre en province sous la Révolution et l'Empire, codirigé le projet ACTAPOL sur les Conventionnels, et participe actuellement au projet CIRESFI sur le théâtre italien en France aux XVIIeet XVIIIesiècles. Il est l’auteur ou le directeur de trente-quatre ouvrages portant sur l’histoire politique et culturelle de la Révolution française, et notamment l'histoire du théâtre. Parmi ceux-ci : en codirection avec Gérard Loubinoux, Révolution française et arts de la scène, et La scène bâtarde, des Lumières au romantisme, les deux publiés en 2004 aux Presses Universitaires Blaise-Pascal (PUBP) ; avec Françoise Le Borgne, Costumes, décors et accessoires dans le théâtre de la Révolution et de l’Empire, PUBP, Clermont-Ferrand, 2010 ; Aux origines du théâtre patriotique, Paris, CNRS-Éditions, 2017 ; avec Pierre-Yves Beaurepaire et Charlotta Wulff (dir.), Moving scenes. The Circulation of Music and Theatre in Europe in the Age of Enlightenment and Revolution, Oxford, Voltaire Studies, 2018.